lundi 3 janvier 2011

LIVRE - Vies ordinaires en Corée du Nord par Barbara Demick





Alors que l'actualité nord-coréenne s'impose au public occidental de façon prégnante, cet excellent ouvrage d'une journaliste américaine basée à Séoul pendant plusieurs années ne pouvait mieux tomber. Oubliez les analyses géopolitiques complexes et souvent indigestes pour vous plonger dans l'humanité de la Corée du Nord, une facette essentielle de ce pays peuplé de 22 millions d'habitants qui vivent, ou plutôt survivent. À travers les récits d'une femme médecin, d'un étudiant, d'une institutrice, recueillis après qu'ils ont fait défection en Corée du Sud, Barbara Demick présente la « vie ordinaire » en Corée du Nord, racontée par des Nord-Coréens.

La richesse et la force de cet ouvrage-témoignage résident dans les descriptions simples, heureuses, enjouées de la vie en Corée du Nord jusqu'au milieu des années 1990 et la terrible famine qui a fait plus d'un million de morts. Pour Mi-ran, Oak-hee ou Kim Hyuck, la vie bascule, la nourriture manque, les morts se multiplient, le système totalitaire vacille et certains prennent conscience de l'absurdité du système communiste. Chacun survit comme il peut, jetant aux orties les slogans enflammés de la propagande. Et puis c'est la fuite pour trouver à manger, la peur de se faire prendre, le désir de vivre autre chose ailleurs. D'abord en Chine capitaliste pour une majorité, puis en Corée du Sud pour certains, où l'adaptation s'avère plus complexe que prévu.

Cette longue enquête révèle la profondeur de l'âme humaine qui résiste à toutes les horreurs et réussit à se libérer d'un des derniers totalitarismes de la planète. Les premières fissures du système nord-coréen apparaissent.

(Dorian Malovic)


Il est difficile de rendre compte de la réalité nord-coréenne en raison de la fermeture du pays, de la manie du secret du régime, des difficultés à avoir accès à des informations fiables mais aussi de l'image qui s'y attache : si noire que les jugements l'emportent d'entrée de jeu sur les faits. Barbara Demick, correspondante du Los Angeles Times à Séoul, puis à Pékin, a cherché à dresser un portrait de ce pays à travers des destins individuels : ceux de six Coréens du Nord « ordinaires » réfugiés au Sud depuis une dizaine d'années.

A travers la vie d'un jeune couple, dont la romance naît dans l'obscurité de la nuit de la ville, d'une communiste modèle qui a intériorisé les valeurs du régime et de sa fille rebelle, d'une femme médecin idéaliste et d'un orphelin, l'auteur retrace les années les plus noires de la fin de la décennie 1990 : celles de la famine (1 million de morts) et du chaos social qu'elle engendra.

Au fil du récit de ces vies se dessinent les difficultés quotidiennes, l'attachement aveugle au dirigeant, les rancoeurs et les rébellions intérieures, la crainte rampante - dont celle de la découverte des antécédents (révolutionnaires ou non) des parents qui pèsent sur l'avenir des enfants -, la lutte pour survivre et le cheminement mental qui conduit à décider de s'enfuir.

Barbara Demick a le mérite de donner des visages à un peuple souvent réduit à une masse indifférenciée et passive. Elle puise, avec raison, dans l'histoire orale - pratiquement la seule à notre disposition pour entrevoir la situation de ce pays. Avec les limites d'une telle source : le caractère parcellaire des témoignages. Son livre pèche par un autre travers : un parti pris de mise en scène. De témoins, les six réfugiés, tous originaires du port industriel de Chongjin, dans le nord-est du pays, deviennent les personnages d'un récit.

Le style narratif donne au livre un tour romanesque qui en rend la lecture attrayante. Mais le souci de « faire vivant », les sentiments prêtés aux personnages et les ajouts de l'auteur déroutent le lecteur, qui ne sait plus ce qui relève du vécu des réfugiés et de ce qui a été puisé à d'autres sources. Emportée par son talent de conteur, Barbara Demick « brode » autour du récit des personnes qui se sont confiées à elle - non sans approximations et simplifications sur l'histoire de ce pays ou la culture coréenne en général.

Le lecteur de Barbara Demick apprendra, certes, une foule de détails, parfois à mettre en perspective mais révélateurs sur la vie des Coréens « ordinaires ». Mais lui échappera la complexité de leur situation - cette zone grise entre le bien et le mal, décrite par Primo Levi, dans laquelle se meuvent tous « les naufragés et rescapés » à travers l'histoire.
(Philippe Pons)

Vies ordinaires en Corée du Nord, par Barbara Demick, Paris, Albin Michel, 2010, 327 pages, 23 euros.

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